jusqu'à ce que Pluton nous sépare (mabel wedding)

Tu te regardes dans ce large miroir, le visage impassible, les mains crispées sur le bois de la commode qui te soutiens, le cœur battant à tout rompre. Tu te détailles de haut en bain, des ridules aux coins de tes yeux, de ce costume trois pièces tout en noir, de ces chaussures de ville à tes pieds. Tu n’es pas à l’aise, cette sensation d’étouffer et tu desserres le nœud de ta cravate, celui que tu avais déjà fait une dizaine de fois, cet assemblage complexe que tu voulais parfait.  Tout devait être parfait, rien ne pouvait être laissé au hasard. Pas aujourd’hui, pas alors que c’était une journée aussi particulière pour toi – une des plus importantes de ton existence. Un mariage. Ton mariage. Tu avais du mal à réaliser, ton palpitant qui s’emballait sous l’appréhension, le stress qui te faisait poser mille et une question, les rouages de ton cerveau qui s’emballait sans cesse. Tu avais besoin d’évacuer, de t’entraîner, mais la femme à tes côtés te l’avait formellement interdit, ta sœur de cœur qui te chaperonnait depuis la veille. « La cravate est vraiment obligatoire ? » Une des premières phrases que tu sors depuis que tu t’es préparé, depuis le quart d’heure que tu passes devant la glace, à faire les cent pas dans la pièce. Tu regardes un instant Alisha, les yeux troublés, plein d’appréhension.
Elle s’approche de toi, doucement et tu la laisses faire lorsqu’elle remet ton accessoire en place, remets la boucle correctement pour la énième fois sans broncher alors que tu fais une légère grimace en le sentant de nouveau enserrer ta gorge. Tu as l’impression d’étouffer, un peu et tu n’aimes pas ça. Tu n’aimes pas l’inquiétude qui monte en toi, cette sensation étrange de ne pas être assez bien, de ne pas faire assez. Tu as toujours aimé avoir les choses en main, les faire à ta façon, pouvoir les gérer à ta manière et tu as pourtant l’impression que des choses t’échappent, que tu ne peux pas tout faire. Que la décision n’est pas totalement tienne – et à raison. Tu connais Abel depuis des années, près de dix ans désormais et si tu as foi en votre amour, si tu le connais sur le bout des doigts, tu ne peux t’empêcher d’avoir ce doute qui s’immisce en toi comme un serpent, cette appréhension qui broie ton estomac, qui le tourne en tous sens. Il sera là, tu ne dois pas t’en faire. Il ne va pas fuir. Tu ne vas pas fuir. Tout se passera bien et quand tu te regardes une nouvelle fois dans le miroir, tu cherches à t’en convaincre. Un peu.

Tu soupires un peu, prends une grande inspiration avant de tendre ton bras à la guerrière à tes côtés, un léger sourire aux lèvres malgré la tornade de question qu’il y a dans ton cœur. Si la ponctualité est obligatoire au Camp Jupiter, tu es toujours en avance, quoi qu’il arrive et ton mariage n’en feras pas défaut. « Il est l’heure », qu’elle te dit en te rendant ton sourire et en passant un bras sous le tien, après avoir ouvert la porte. Vous marchez, traversé le camp et tu ne peux empêcher ton regard de se balader un peu, occupé ton esprit, le nourrir des nombreux souvenirs que tu as vécu ici. Ta maison, ta famille et ce malgré les années passées loin d’ici, malgré les différents qu’il y a pu y avoir avec certains, c’était toujours eux que tu choisissais. Que tu choisiras toujours. Les souvenirs à la chambre que tu avais dans ta cohorte, aux semaines passées dans l’infirmerie à cause de tes blessures, de ces moments de tendresse échangés dans les fameuses salles d’auscultation. Même le champ de Mars, que tu vois au loin ne fait que raviver d’autres réminiscences et tu te sens fier de faire partis de cet endroit. D’y avoir construit ta vie. D’y avoir trouvé ta famille. Vous arrivez devant la porte de Janus et ne perdez pas de temps à la traverser pour arriver directement au Socrate Sculpture Park, privatisé pour l’occasion. Si tu ne savais pas réellement à quoi t’attendre, tu restes étonné de la qualité des structures, de la simplicité de cette présentation et pourtant, de tout ce que cela symbolise pour toi.

Juste devant le point d’eau se trouve une sorte de mont, relief d’herbe où sont installés les chaises et l’hôtel qui ne semble attendre que les deux principaux intéressés. Tu n’es pas surpris de voir la plupart des invités déjà installés, des têtes que tu reconnaîtrais entre mille, des anciens de ta cohorte ou les membres de ta famille. Vous marchez le long de l’allée, fleuries de quelques fleurs que tu ne connais pas assez, dans une simplicité que tu apprécies. L’autel aussi, simple arc de verdure parsemé de quelques fleurs qui te font sourire, qui te réchauffe un peu le cœur qui lui, ne cesse de s’emballer. Tu es là, arrivé, en avance comme à ton habitude. Tu serres doucement la main de ton témoin, un regard doux alors que tu la remercies du bout des lèvres en venant te placer là où tout va se dérouler. Là où il te rejoindra, d’ici quelques instants. Des mois que tu attends ce moment, des années de retard peut-être, mais tu sais que rien ne se mettre en travers de votre chemin. Pas aujourd’hui. Pas le jour de votre mariage et après tout ce que vous aviez endurés, tu savais que dans tous les cas, vous traverseriez cette nouvelle épreuve main dans la main, comme toujours. Pour toujours.